Changement d’angle
Vous avez peut-être remarqué la transformation de l’« actif visuel » de Canso, comme le désignent à la blague nos experts, tant sur notre site Web que dans notre bulletin d’information. Cette nouvelle mouture n’est que la cinquième en 26 ans d’existence. Toujours fidèles à la marque Canso, nous gravitons autour de notre emblématique avion. Comme le fiable avion Canso, qui ne craint ni turbulence, ni orage, ni tirs antiaériens, et qui mène toujours son équipage et ses passagers à bon port, nous misons sur l’indéfectible. Loin du tape-à-l’œil, nous proposons plutôt une efficacité inébranlable. À l’instar de notre avion éponyme, qui a souvent semblé désuet, nous croyons fermement que la gestion active et la recherche fondamentale sont au cœur du succès en placements. Les modes de placement (stratégies passives, titres non traditionnels, cryptomonnaies) évoluent, mais notre méthode lente, méthodique et à long terme ajoute une réelle valeur à nos portefeuilles clients. Preuve que nous joignons l’acte à la parole, chaque membre de l’équipe de placement chez Canso investit son propre patrimoine au sein du groupe Canso.
Débats envenimés, inflation modérée
En avril, nous avions fait le tour de la question de l’inflation et mentionné que le débat actuel tournait autour de la « fin » du resserrement de la politique monétaire. À vrai dire, il y a peu de nouveautés à signaler depuis lors. Le débat persiste et les économistes continuent d’échafauder des théories sur le moment où les taux d’intérêt augmenteront suffisamment pour modérer l’activité économique et ainsi réduire l’inflation. La question fondamentale est de savoir à quel point il faudra augmenter les taux d’intérêt pour maîtriser l’inflation. Nous vous informons aujourd’hui que l’inflation réelle chute! Cette nouvelle a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les marchés, malgré les efforts acharnés des banques centrales pour faire passer le message qu’elles demeurent déterminées à combattre l’inflation.
Marasme des banquiers centraux
Pour reprendre les propos de Napoléon au goût au jour : il vaut mieux être un banquier central chanceux qu’un banquier central intelligent. Les chanceux banquiers centraux d’antan ont eu le grand bonheur de réduire héroïquement les taux d’intérêt à chaque soubresaut du marché et de l’économie pendant 40 ans. Ils en sont devenus les chouchous des investisseurs et des consommateurs. C’est aux pauvres banquiers centraux d’aujourd’hui qu’incombe la lourde tâche d’imposer une rigoureuse austérité monétaire à une population fort récalcitrante et à des politiciens qui font écho à leurs ouailles. Nous sommes passés, en un très court laps de temps, d’un accès essentiellement gratuit aux capitaux à un accès au coût exorbitant, ce qui met les gens d’humeur exécrable.
Les aventuriers de l’inflation perdue
Après cette ère interminable d’absurdité de la politique du taux nul, la question sur toutes les lèvres est la suivante : les banques centrales finiront-elles un jour par réduire les taux d’intérêt et quand ce jour arrivera-t-il? Comme nous l’avions souligné dans L’Observateur des marchés précédent, les investisseurs obligataires canadiens sont obstinément convaincus que l’inflation se situe réellement autour de 2 %, en dépit d’une pléthore de preuves contraires. Leur inébranlable confiance en cette prévision d’une inflation éternelle à 2 % n’a pas bronché, même lorsque confrontés à leur fourvoiement. L’absence flagrante de faits étayant leur croyance n’a fait qu’intensifier leur nostalgie des beaux jours de taux d’intérêt très faibles. C’est le summum de la suspension de l’incrédulité de la part de ces gestionnaires, à l’instar d’un cinéphile acceptant sans sourciller l’idée d’aventuriers voyageant à leur gré sur un timbre!
Psychose des faibles rendements obligataires
Nous préférons nous appuyer sur des données concrètes pour tirer nos conclusions sur la valeur qu’on retrouve sur le marché obligataire. Les experts prévoient une récession depuis longtemps en raison de la présence de la redoutée « courbe de rendement inversée », où les rendements à court terme sont bien plus élevés que les rendements à long terme. À nos yeux, le faible niveau actuel des rendements obligataires est l’expression ultime de la psychose collective des gestionnaires obligataires, qui semblent penser évoluer dans le film « Retour vers le futur ». Les taux baisseraient après avoir atteint un sommet, car ils ont toujours baissé, du moins selon l’expérience de la plupart des gestionnaires obligataires. Au contraire, nous pensions que la création d’une telle quantité d’argent lors de la panique covidienne des banquiers centraux nécessiterait un certain temps pour que l’excès des liquidités soit absorbé par le système monétaire. Jusqu’à présent, le temps nous a donné raison, mais comme on dit au hockey « C’est pas fini tant que c’est pas fini ». Nous mettons donc continuellement au défi nos hypothèses.
Avec tout le respect dû aux banquiers centraux d’aujourd’hui, il est évident qu’ils ne pensaient pas que tout l’argent créé pendant la pandémie provoquerait réellement une l’inflation. Pourquoi auraient-ils pensé le contraire, compte tenu de l’histoire récente? Les banques centrales ont imprimé de l’argent à foison pendant des années, sans aucune conséquence inflationniste. Une fois que les banquiers centraux récalcitrants ont été contraints d’agir, ils ont été tout aussi surpris par le manque de réaction immédiate au resserrement quantitatif que les tenants du marché obligataire. Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a exprimé sa surprise dans un entretien accordé au quotidien Globe and Mail après avoir enfin reconnu que la pause qu’avait prise la BdC était prématurée :
« La Banque du Canada n’était pas censée augmenter les taux d’intérêt cet été. En janvier, le gouverneur Tiff Macklem et son équipe ont mis en pause leur politique de resserrement monétaire, supposant que la salve de hausses de taux au cours de l’année précédente suffirait à freiner l’activité économique et à ramener l’inflation sous contrôle.
Cette “pause conditionnelle” n’a duré que le temps de deux décisions sur les taux. La banque a repris les hausses de taux en juin, puis encore cette semaine, portant son taux d’intérêt directeur à 5 %, le niveau le plus élevé depuis avril 2001.
“Ça fonctionne”, a déclaré M. Macklem dans un entretien exclusif accordé au quotidien Globe and Mail mercredi, quelques heures après avoir augmenté les coûts d’emprunt pour la 10e fois en un an et demi. “Mais cela ne fonctionne pas aussi rapidement ou aussi efficacement que nous l’avions prévu.”
La Banque du Canada, comme de nombreuses banques centrales à l’échelle mondiale, est confrontée à une économie étonnamment résiliente et à une inflation tenace — les deux faces de la même médaille. Jusqu’à présent, les consommateurs, les employeurs et les acheteurs de maison ont été moins sensibles aux taux d’intérêt plus élevés que prévu. Cela signifie que les pressions inflationnistes intérieures demeurent, même si l’inflation de l’indice des prix à la consommation a rapidement chuté, principalement en raison de la baisse des prix mondiaux du pétrole. » Source : Rendell, Mark. « It’s Not Working as Quickly or as Powerfully as We Thought : Tiff Macklem Explains Why Boc Restarted Rate Hikes. » The Globe and Mail, 14 juillet 2023.
Pourquoi l’histoire ne se répéterait-elle pas? On pourrait s’attendre à ce que les banquiers centraux soient plus résolus ou aient plus de connaissances et d’expertise que les propriétaires résidentiels, mais hélas, les facultés cognitives tant des banquiers que des propriétaires ont été engourdies par la longue période de faibles taux d’intérêt, réduits à presque zéro et maintenus à ce niveau de 2011 à 2021.
Hypothéquer l’avenir
Nous abordons le sujet des taux hypothécaires, car ces derniers temps, nous avons reçu davantage de questions sur l’évolution des taux hypothécaires canadiens que sur n’importe quel autre sujet. Pour répondre à ces questions, nous avons préparé l’histogramme des rendements des obligations canadiennes à 5 ans présenté ci-dessous. Il segmente les rendements mensuels de ces obligations depuis 1991, année d’adoption de la cible d’inflation de 2 % par la Banque du Canada, en tranches d’observation de 1 %. Par exemple, les rendements se sont chiffrés entre 3 % et 4 % pendant 55 mois au cours de la période visée. Le numéro un incontestable est la tranche des rendements entre 1 et 2 % pendant 79 mois.
C’est la raison pour laquelle tout le monde est surpris par les taux hypothécaires actuels. Les taux hypothécaires sont généralement supérieurs de 1 à 2 % aux rendements des obligations canadiennes à 5 ans. Les banques proposent des hypothèques à l’extrémité inférieure de cette fourchette lorsqu’elles se font concurrence pour accorder des prêts hypothécaires et l’inverse est vrai lorsque le marché hypothécaire est moins concurrentiel. Par exemple, le rendement actuel de l’obligation canadienne à 5 ans est de 3,8 % tandis que le meilleur taux hypothécaire d’une grande banque canadienne est de 5,2 %. Cela représente une majoration de 1,4 % par rapport au rendement de l’obligation canadienne à 5 ans, à mi-chemin entre la majoration de 1 à 2 % que les banques facturent habituellement sur leurs prêts hypothécaires.
En regardant le graphique ci-dessus, il n’est pas étonnant que les propriétaires canadiens et leurs courtiers hypothécaires aient pensé que la « norme » pour les taux hypothécaires était bien inférieure aux taux actuels supérieurs à 5 %. Ceux d’entre nous qui sont assez âgés se souviennent qu’un taux hypothécaire de 5 % était jadis une merveille. Après les taux hypothécaires de 1,8 % de la pandémie, on ne peut pas en vouloir aux gens de s’attendre à une chute imminente des taux d’intérêt élevés « non viables ».
Pensée systémique
Le cerveau humain, comme l’ont démontré des études psychologiques, est victime du phénomène de « récence », où les expériences les plus récentes prennent le dessus sur les plus lointaines. Nous sommes d’avis que tant les banquiers centraux que les propriétaires immobiliers sont sujets à ce syndrome. Les taux d’intérêt étaient bas, ils vont donc rester bas, raisonne le cerveau humain, sans réflexion et de manière tout à fait illogique. Nous invitons nos lecteurs à consulter le merveilleux ouvrage Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée pour en savoir plus sur notre façon de penser. Nous sommes loin d’être « logiques ». Et si les récents taux d’intérêt étaient l’exception plutôt que la règle?
Nous avons ventilé les périodes dans les histogrammes ci-dessous. Le premier graphique porte sur les 20 années de 1991 à 2011, et il semble avoir une « distribution normale ». En examinant ce graphique, on constate que des valeurs entre 4 % et 6 % semblent être les rendements « normaux », groupés autour de la moyenne, comme on pourrait s’y attendre avec une distribution statistique normale aléatoire. Nous constatons que l’inflation s’est établie en moyenne à 2 % de 1991 à 2019. Sachant que l’inflation est actuellement bien supérieure à ce taux, et que la Banque du Canada vise une cible de 2 %, le rendement actuel des obligations canadiennes à 5 ans de 3,8 % ne peut pas vraiment être considéré comme anormal dans le contexte de cette période.
Rendements fréquemment faibles
En revanche, si nous observons la période de 2011 à nos jours, celle-ci est tout sauf normale. Tandis que des rendements de 4 à 5 % pour les obligations du Canada étaient monnaie courante de 1991 à 2011, les rendements mensuels les plus souvent vus entre 2011 et aujourd’hui se situent entre 1 % et 2 %.
Il n’y a eu aucun mois dans la fourchette de 4 % à 5 % pendant ces douze années!
Qu’est-ce que cela signifie pour les futurs taux d’intérêt? Le consensus s’attend à un retour imminent à une inflation de 2 %, puisque c’est ce à quoi l’investisseur moyen est habitué et ce qu’il souhaite. C’est d’ailleurs l’objectif déclaré des banques centrales. Ils « contrôlent » les taux d’intérêt, donc se peut-il qu’ils se trompent?
Composition du ciblage de l’inflation en ut majeur
Comme nous l’avions déjà mentionné dans des numéros antérieurs, la Nouvelle-Zélande a été le premier pays à adopter le « ciblage de l’inflation » au début des années 1990. Le ciblage a fonctionné et le taux d’inflation chez les Néo-Zélandais a fait un decrescendo. Le ciblage de l’inflation a gagné en popularité auprès des adeptes branchés de l’économie, et le Canada fut le suivant à adopter ce nouveau régime monétaire. Comme Tony Keller l’a dit dans un article d’opinion publié dans le Globe and Mail, il n’y avait rien de magique ou de glorieux dans le fait que 2 % soit devenu le taux d’inflation nec plus ultra de la Banque du Canada, et c’est à la fabrique politique d’Ottawa que l’on doit cette composition :
« L’objectif d’inflation de 2 % n’est pas sorti de l’onde, comme Vénus. Il est venu d’Ottawa, après des négociations, sous la forme d’une déclaration commune de la Banque du Canada et du ministère des Finances imprimée sur du papier recyclé.
Le Canada a été le deuxième pays — la Nouvelle-Zélande a été le premier — à adopter le ciblage de l’inflation comme élément central de la mission de sa banque centrale, après que le gouverneur John Crow et le ministre des Finances Michael Wilson aient convenu en 1991 que la banque aurait pour cible explicite la diminution de l’inflation et l’atteinte de la stabilité des prix au Canada ». Source : Keller, Tony. Opinion : The Bank of Canada Is Right to Shoot for Low Inflation. but Is 2 per Cent Too Low? The Globe and Mail, 13 juillet 2023.
Austère inflation australe
John Carswell, notre directeur des placements, a visité la Banque de réserve de la Nouvelle-Zélande en 1991 au cours de son évaluation du crédit pour le financement obligataire de Fletcher Challenge. Il en a profité pour discuter du ciblage de l’inflation avec le gouverneur adjoint de la Banque centrale. De retour au Canada, il a annoncé à ses collègues de l’époque que l’inflation allait chuter et rester faible. Ils ne l’ont pas cru. Comme en témoigne l’écart d’équilibre entre les ORR et leur équivalent canadien nominal, ils n’étaient pas les seuls. Il a fallu attendre jusqu’en 1998 pour que les prévisions de forte inflation du marché obligataire chutent à 2 %. Cela a donné lieu à des rendements réels exceptionnels sur les obligations nominales à long terme du Canada, les taux d’intérêt réels étant fixés à des niveaux très élevés.
Cible à vitesse variable
Est-ce qu’un taux de 2 % est un bon objectif? (petite piste : pour les emprunteurs, mieux vaut un taux plus élevé que moins élevé!) L’objectif initial de la Banque du Canada était la « stabilité des prix », c’est-à-dire une inflation de 0 %, mais l’objectif a évolué pour se chiffrer à 2 %.
« L’objectif d’inflation a été fixé à 3 % à la fin de 1992, puis à 2,5 % à la mi-1994 et à 2 % à la fin de 1995. “Par la suite, précisait la déclaration commune du gouvernement et de la banque, l’objectif serait de réduire davantage l’inflation jusqu’à ce que soit atteinte la stabilité des prix.” » Source : Keller, Tony. Opinion : The Bank of Canada Is Right to Shoot for Low Inflation. but Is 2 per Cent Too Low? The Globe and Mail, 13 juillet 2023.
Il est assez clair que cette déclaration signifiait la possibilité de réductions supplémentaires en dessous du seuil des 2 %. L’objectif initial de John Crow était la « stabilité des prix » ou une inflation de 0 %. Le raisonnement était que l’incertitude liée à l’inflation constituait un coût pour les consommateurs et qu’une stabilité ferme des prix réduirait ce coût pour tout un chacun, car les prix seraient fixes. Malheureusement, il s’est avéré que, dans une économie fondée sur l’endettement, la « sauce de l’inflation fait passer le poisson de l’endettement » des emprunteurs, le gouvernement fédéral non le moindre. Il y a eu peu de controverse lorsque l’objectif de stabilité des prix à 0 % a sombré dans l’oubli et que la BdC s’est arrêtée sur un objectif de 2 %, désormais accepté comme représentant la « stabilité des prix ».
Le passage à un niveau supérieur?
Maintenant, comme le fait valoir le texte d’opinion dans le Globe and Mail, le débat sur ce que devrait être la cible d’inflation a été relancé, comme nous le pressentions. Un objectif de 4 % est-il meilleur qu’un objectif de 2 %? Le débat promet d’être intéressant. Nous avons toujours dit que plus d’argent est nettement plus populaire que moins d’argent. Il semble maintenant que le cadre intellectuel pour une politique monétaire expansionniste pourrait passer de la théorie monétaire moderne, qui postulait qu’il n’y aurait jamais d’inflation malgré d’énormes augmentations de la masse monétaire, à la théorie de l’inflation supérieure. Les tenants de la version supérieure diront probablement qu’un taux d’inflation stable de 4 % est meilleur pour la société qu’un taux de 2 %. En revanche, une cible d’inflation de 4 % ne serait pas très populaire auprès des investisseurs obligataires canadiens qui se précipitent maintenant afin de garantir des rendements de 3,3 % sur 30 ans. Ils seraient les laissés pour compte du passage au niveau (d’inflation) supérieur.
Incertitude immuable
À court terme, que penser des perspectives d’inflation? Tout ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que personne ne sait quelle sera l’inflation l’année prochaine, les banquiers centraux non les moindres. Ils feront probablement ce qu’ils font toujours, souffler le chaud et le froid, car ils n’ont pas appris la leçon qu’il vaut mieux attendre et passer pour un immobiliste que mal agir pour avoir l’air intelligent.
Le marché obligataire n’est guère mieux. Nous attirons votre attention sur le graphique ci-dessous illustrant l’écart d’équilibre canadien qui montre la différence entre les ORR du Canada à 4,25 % / 2021 et les obligations du Canada à 9,75 % / 2021 de 1991 à 2001. Si le marché obligataire est efficace, cet écart devrait se rapprocher de l’inflation réelle. Le graphique montre que ce n’est pas le cas, les gestionnaires obligataires de l’époque n’ayant pas échappé au biais de récence abordé plus tôt.
La ligne bleue de l’écart d’équilibre est demeurée bien au-dessus de la ligne rouge qui trace l’IPC réel, de 1992 à 1999. Le marché obligataire croyait que l’inflation serait de 3 % à 5 % de 1992 à 1997, alors qu’elle était en moyenne de 1,5 %.
Il a fallu beaucoup de temps pour que les gestionnaires obligataires et le marché obligataire se fassent à l’idée que l’inflation s’établirait, en moyenne, à l’objectif de 2 % de la BdC. Une fois cette idée bien ancrée, leurs prévisions d’inflation se sont repliées à 2 % et elles y sont encore aujourd’hui. (Les lecteurs intéressés sont invités à consulter L’Observateur des marchés d’avril 2023 et le Rapport sur la position du marché de Canso de septembre 2022, intitulé W(h)ither Inflation and Bond Yields [À propos de l’inflation et des rendements obligataires] pour une analyse plus détaillée de l’inflation historique et des prévisions de l’inflation et de l’écart d’équilibre.)
Gestionnaires d’obligations populistes
Dans le graphique ci-dessous, la ligne bleue de l’écart d’équilibre et la ligne rouge de l’IPC réel étaient assez proches de 2017 à 2021, mais elles ont par la suite divergé de manière spectaculaire. L’inflation réelle selon l’IPC a grimpé à 8,5 %, tandis que l’inflation prévue de l’écart d’équilibre a culminé à un peu plus de 3 %. Nous avons utilisé les ORR de 2026, qui n’ont actuellement que 3 ans jusqu’à leur échéance, car il est logique de penser que les obligations à court terme reflètent mieux les attentes immédiates en matière d’inflation. Que doit-on en conclure? Comme nous le disions, le phénomène de récence signifie que, psychologiquement, les gestionnaires d’obligations s’attendent à ce que l’inflation baisse très rapidement en réaction à l’augmentation des taux d’intérêt.
C’est ce que nous appelons la théorie « commande et contrôle » des taux d’intérêt. À l’instar des électeurs populistes dans le monde, les gestionnaires obligataires souhaitent qu’une banque centrale forte gère les choses selon leurs préférences personnelles. L’idée que les intrépides dirigeants des banques centrales ne « contrôlent » pas les taux d’intérêt provoque d’immenses souffrances psychologiques à leurs partisans sur le marché obligataire. Plutôt que de reconnaître l’absence de contrôle absolu sur les rendements obligataires et les marchés financiers, ils préfèrent suivre aveuglément les prévisions des banques centrales.
Inflation incrustée
Le phénomène n’est pas nouveau; il s’est manifesté quasiment de la même façon lors de la période inflationniste des années 1970. Les économistes de l’époque anticipaient une baisse de l’inflation face à l’augmentation des taux d’intérêt et au ralentissement économique. Cependant, ils n’ont pas perçu à quel point l’inflation s’était solidement incrustée dans l’économie. Tout comme aujourd’hui, on accordait une grande confiance aux banques centrales, pensant qu’elles pouvaient « commander et contrôler » l’inflation grâce à la politique monétaire. Le terme « keynésien » s’est trouvé diabolisé par les tenants du monétarisme strict, pour qui seule la masse monétaire comptait, une conviction que Milton Friedman a résumé par « Seul l’argent compte »
Comme nous l’avons évoqué à plusieurs reprises, la récente tendance vers la théorie moderne en politique monétaire était indéniablement aberrante, tant du point de vue monétariste que keynésien. Elle était diamétralement opposée aux leçons tirées des années 1970, qui pouvaient se résumer par « L’argent n’a pas d’importance ». Il semble que les banques centrales mondiales se soient laissées séduire par ce mirage économique, mettant le cap sur une expansion galopante de la masse monétaire, quelles que soient les circonstances.
Renaissance du monétarisme
Le dilemme actuel est que les banquiers centraux, après avoir vu l’inflation s’envoler à des niveaux qu’ils jugeaient inimaginables en raison de leurs badinages avec la théorie moderne monétaire, traversent désormais une sorte de renaissance monétariste. Cela rend les prévisions extrêmement délicates pour l’avenir, les banques centrales cherchant à maîtriser cette inflation. Ces banquiers savent qu’ils ont fait une erreur en laissant s’étendre excessivement la masse monétaire pendant bien trop longtemps. Il est donc probable que dans leur ardeur à contenir l’inflation, ils maintiendront une politique trop stricte, et pendant bien trop longtemps.
Maintenant que l’inflation est en baisse, les experts s’empressent à nouveau de proclamer la fin de l’inflation élevée. Toutefois, l’expérience des années 1970 montre qu’une fois l’inflation bien ancrée dans les prix et les accords salariaux, les dynamiques deviennent bien plus complexes. Il faut un resserrement monétaire considérable pour y remédier. Cette fois-ci, nous faisons face à l’immense excédent de masse monétaire créé pendant la pandémie qui doit être absorbé. Évidemment, les mêmes experts qui ne voyaient aucun problème face à cette prolifération monétaire à l’époque se précipitent aujourd’hui pour affirmer que les banques centrales en ont fait assez avec leurs hausses de taux.
Cahoteuse inflation
La Réserve fédérale et les autres banques centrales savent que leurs prédécesseurs des années 1970 avaient prématurément assoupli leur politique monétaire suite à une chute importante de l’inflation, avant de constater sa montée vertigineuse par la suite. Des articles de recherche de la Réserve fédérale ont récemment rappelé ces leçons à la nouvelle génération de banquiers centraux. Comme toujours, nous nous appuyons sur des preuves concrètes pour étayer nos affirmations qui peuvent sembler audacieuses.
Le graphique ci-dessous illustre, en glissement annuel, l’IPC aux États-Unis pour les deux périodes de forte inflation des années 1970 et notre actuelle période d’inflation élevée. La ligne bleu foncé commence en 1971 et la ligne bleu clair, en 2019. L’IPC américain est passé de 5 % en 1971, à la fin de la guerre du Viet Nam, à 3 % en 1972, juste avant l’embargo de l’OPEP en 1973. Il a grimpé à 12 % en 1975, avant de chuter à 5 % en 1977, une année marquée par des contrôles des salaires et des prix. La Réserve fédérale a assoupli sa politique monétaire face à cette baisse de l’inflation, pour finalement la voir monter en flèche jusqu’à 15 % avant que Paul Volcker n’intervienne vigoureusement avec ses augmentations drastiques des taux d’intérêt qui ont véritablement stoppé la spirale inflationniste.
Parallèles prémonitoires
Le graphique nous apparaît étonnamment prémonitoire, car les deux périodes montrent la même augmentation de 9 %. L’IPC a bondi de 9 % depuis le creux de 3 % en 1972 jusqu’au premier pic de 12 % en 1975. La ligne bleu clair montre que l’IPC est passé d’un plancher de 0 % en 2020 à un pic de 9 % en 2022. Le graphique montre également une chute très similaire de l’inflation mesurée par l’IPC après ce pic. Les investisseurs et les économistes de l’époque se sont réjouis de la chute rapide de l’inflation en 1975, tout comme ils se réjouissent aujourd’hui de la baisse actuelle.
La Réserve fédérale de 1975 s’est jointe à la fête en assouplissant sa politique monétaire, créant ainsi un problème bien plus conséquent par la suite. L’IPC américain est passé du sommet de 9 % à 3 %, mais la baisse de 6 % est-elle suffisante pour que la Réserve fédérale de 2023 crie victoire et assouplisse sa politique? Nous sommes certains que la Réserve fédérale de 1975 était du même avis lorsque l’inflation s’est repliée vers les 6 %, mais sa victoire fut de courte durée puisque l’inflation entama une nouvelle montée. La Réserve fédérale de 2023 semble aujourd’hui prêter une oreille attentive aux recherches qu’elle mène, reconnaissant le risque d’un assouplissement prématuré. Les marchés financiers, dans leur impatience, interprètent chaque signe de baisse de l’inflation comme une victoire. Nous ne sommes pas convaincus que l’inflation américaine soit bel et bien maîtrisée.
Cafouillage au Canada
Le graphique canadien pour la même période révèle une augmentation de 5 % en 1972 à 12 % en 1975, soit une hausse de 7 %. La hausse actuelle depuis le plancher de 2020 à 0 % jusqu’au pic de 8 % en 2022 est, quant à elle, de 8 %. L’IPC canadien, après avoir atteint un sommet de 12,6 %, a reculé de 7 % pour se retrancher à 5,6 % lors de cette première envolée inflationniste. Tout comme la Réserve fédérale américaine de 1975, la BdC de 1975 a prématurément crié victoire et assoupli sa politique monétaire. Le résultat fut tout aussi désastreux qu’aux États-Unis, avec un pic de l’inflation en 1981 au Canada de 13 %. L’IPC canadien a maintenant baissé de 5,3 % depuis son sommet et les appels à un assouplissement de la politique monétaire se font de plus en plus insistants.
Alors, est-ce que la période actuelle se terminera de la même façon que celle des années 1970? Cela dépend vraiment du moment où la Réserve fédérale de 2023 et la Banque du Canada de 2023 mettront la pédale douce. Comme dans les années 1970, les banques centrales font l’objet de pressions pour mettre fin aux difficultés économiques liées aux taux d’intérêt élevés. Plusieurs soi-disant « stratèges » prédisent une récession imminente depuis au moins un an en raison des graves dommages financiers causés par l’énorme hausse des taux d’intérêt.
Incidence à vitesse variable
Le problème, c’est que les ravages économiques engendrés par les taux d’intérêt élevés ne sont pas homogènes. Les taux d’intérêt constituent le coût du capital, et les agents économiques, manifestement habitués à avoir accès à du capital essentiellement gratuit, clament leur mécontentement. Cela ne signifie pas pour autant que l’argent ou le crédit soient rares ni que nous sommes arrivés vers la fin du cycle de resserrement. Il est difficile d’imaginer que l’argent se fasse rare au Canada, alors que les acheteurs de maisons canadiens se retrouvent une fois de plus en surenchère. Même le marché immobilier américain semble se redresser, selon le quotidien Washington Post :
« Le marché du logement sourit à Donnie Evans. Constructeur dans la région de Dallas, il peut terminer ses maisons six semaines plus vite que pendant la pandémie, grâce au rétablissement des chaînes d’approvisionnement, des tuiles aux portes de garage en passant par tous les autres matériaux. La demande pour ses maisons ne fléchit pas, même si leurs prix varient entre 250 000 $ et 850 000 $. Et ce, alors que le taux hypothécaire fixe de 30 ans frôle les 7 %, soit plus du double de ce qu’il était il y a à peine 18 mois.
“Nous ne sommes pas en récession”, a déclaré M. Evans. “Nous ressentons un certain ralentissement. Mais je ne crois pas que ‘récession’ soit le mot juste.”
C’est le signal de plus en plus fort de la part des constructeurs, des agents immobiliers et des économistes qui affirment que la récession du marché immobilier de l’année dernière — que beaucoup redoutaient voir perdurer alors que la Réserve fédérale s’efforçait d’augmenter les taux d’intérêt pour contrer l’inflation — s’est déjà renversée. Les chaînes d’approvisionnement s’assouplissent, renforçant la confiance des constructeurs et aidant les équipes de construction à terminer les maisons plus rapidement. Les taux hypothécaires élevés refroidissent la demande, sans totalement l’anéantir. Maintenant que la surenchère frénétique de la pandémie est chose du passé, on retrouve à tout moment davantage de maisons sur le marché, offrant ainsi plus d’options aux acheteurs. Après avoir chuté au deuxième semestre de 2022, les prix se stabilisent lentement, tournant la page sur les marchés atypiques de la pandémie. » Source : Siegel, Rachel. « The Housing Market Recession Is Already Ending. » The Washington Post, 17 juillet 2023.
Richesse pour l’un, rictus pour l’autre
Aux États-Unis, les taux hypothécaires dépassent les 7 %. Cependant, les propriétaires avec des prêts hypothécaires à taux fixe, notamment ceux sur 25 ans, ne vivent pas la même situation que leurs voisins à taux variables. Comme nous l’avions mentionné dans L’Observateur du Marché d’avril, les épargnants commencent enfin à gagner de l’argent sur leurs comptes portant intérêt et sont donc également satisfaits. Un CPG de 5 ans au Canada est passé de presque zéro en 2020 à un peu plus de 5 % actuellement. Pour quelqu’un qui a 1 million de dollars en banque, cela représente 50 000 $ par année. Nos voisins américains ont toujours de l’argent en banque et n’hésitent pas à le dépenser :
« Malgré une année où l’inflation a poussé les prix à des sommets inédits, les Américains sont toujours mieux lotis qu’avant la pandémie, avec près de 10 à 15 % de plus dans leurs comptes bancaires qu’en 2019, selon les nouvelles données sur les comptes courants et d’épargne.
Toutefois, les ménages dépensent rapidement cet excédent d’argent qu’ils avaient mis de côté pendant la pandémie. Les soldes médians des comptes sont au plus bas niveau en trois ans environ et ont chuté jusqu’à concurrence de 41 % par rapport à leur apogée en avril 2021, lorsque les Américains regorgeaient d’argent provenant des mesures de relance du gouvernement et des remboursements d’impôts, selon une analyse du JPMorgan Chase Institute sur les comptes bancaires de 9 millions de clients de Chase.
Dans leur ensemble, ces données aident à expliquer le grand mystère derrière la capacité de l’économie américaine à éviter la récession prévue par de nombreux économistes : les consommateurs, soutenus par un robuste marché du travail, ont pu continuer à dépenser malgré l’inflation et une forte augmentation des coûts d’emprunt. » Source : Bhattarai, Abha. « Americans Are Still Better off, with More in the Bank than before the Pandemic. » The Washington Post, 17 juillet 2023.
Combien d’argent doit être retiré pour que les choses ralentissent? Probablement plus que prévu, compte tenu des énormes mesures de relance monétaire adoptées pendant la pandémie. Comme nous l’avons dit dans nos autres bulletins, il est également difficile de croire que l’on traverse des moments difficiles lorsque les marchés boursiers et les marchés des obligations à rendement élevé dégagent de robustes rendements. Nous restons convaincus que l’évolution de la politique monétaire conduira à davantage de fermeté et donc un resserrement plus marqué que ce que les experts et les marchés anticipent actuellement.
Le point tournant
Quand arrivera-t-il? Tout dépend de ces banquiers centraux qui étaient dans le secret des dieux et qui sont aujourd’hui révélés comme de simples mortels, qui tirent, ici et là, les ficelles de la politique monétaire. La bonne nouvelle est que nous en sommes aux premières manches comparativement aux années 1970. La mauvaise nouvelle est que les banquiers centraux de 2023 ne veulent pas se faire une réputation de cancres monétaires ayant précocement relâché lesdites ficelles et déclenché une inflation galopante.
Le graphique ci-dessous de l’IPC canadien illustre le dilemme des banquiers centraux. Nous y avons tracé l’IPC global et l’IPC de base. L’IPC de base exclut les éléments volatils tels que l’alimentation et l’énergie, selon le consensus, il serait alors davantage représentatif des pressions inflationnistes sous-jacentes. Les marchés financiers et le secteur économique semblent se concentrer sur le dernier rapport mensuel de juin qui montre une hausse mensuelle de 0,1 % tant pour l’IPC global que pour l’IPC de base.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais c’est cette donnée ponctuelle que les marchés ont saisie pour prédire l’insaisissable « point tournant ». Même en tenant compte de la période déflationniste pendant la pandémie, l’IPC global et l’IPC de base se chiffrent en moyenne à 0,3 % depuis décembre 2019. En annualisant ce chiffre mensuel, cela les porte à 3,6 %, nettement plus que l’objectif de 2 % de la Banque du Canada. En excluant l’année 2020 qui s’est déroulée sous le joug de la pandémie, l’IPC global est de 0,4 % (4,8 % en taux annualisé). Si le mois de juin n’est pas la manifestation du point tournant de l’inflation et que la tendance ne se maintient pas, il faudra manifestement resserrer davantage les conditions pour ramener l’inflation à 2 %.
Une dure leçon sur fond de masse monétaire
En conclusion, il nous semble que les banquiers centraux ont appris à leurs dépens que l’argent a bel et bien de l’importance, comme le prévoit la théorie monétariste. Cela signifie que le risque qui se profile une fois de plus est une surcorrection de la part de nos banquiers centraux. Nous pensons donc que les probabilités d’un atterrissage en douceur, maintes fois prédit, mais rarement concrétisé, sont faibles. Les marchés boursiers et de crédit ne partagent pas l’avis du marché obligataire d’État qui estime que nous sommes déjà en récession. Même si, par miracle, l’inflation chute immédiatement à 2 %, la majorité du marché obligataire affiche déjà des rendements se situant dans la fourchette appropriée.
Le jeu monétaire tire à sa fin
L’issue d’une politique monétaire stricte n’est réjouissante ni pour l’économie ni pour les marchés financiers. C’est pourquoi nous devenons plus prudents dans nos portefeuilles. Comme nous l’avons souligné dans notre Lettre sur les obligations de sociétés de juillet 2023, le rendement d’une obligation de société canadienne à long terme est inférieur à celui d’un bon du Trésor. Les obligations de sociétés à long terme comportent des risques de crédit et de taux d’intérêt. Les bons du Trésor portent le risque de rater une reprise du marché obligataire en ne fixant pas un rendement dès maintenant. Lorsque les investisseurs s’inquiètent davantage du risque de passer à côté d’une hausse que du risque de baisse, il est temps de fermer les portes à double tour pour se mettre à l’abri de la tempête. Comme nous le disions en avril, il est très difficile de se contenter d’un rôle d’observateur devant l’effervescence des marchés, mais c’est le rôle que nous avons choisi afin d’adopter une approche à contre-courant et de profiter de la liquidation inévitable à venir.