Après les augmentations des taux d’intérêt par les banques centrales en 2022 et 2023, beaucoup se sont interrogés sur la tolérance de l’économie américaine à de nouvelles hausses et sur la probabilité que les banques centrales parviennent à assurer un « atterrissage en douceur » (contrôler l’inflation tout en soutenant la croissance) ou, au contraire, que le resserrement excessif entraîne un « atterrissage brutal » (limiter l’inflation en provoquant une récession). Un indicateur souvent utilisé par les investisseurs pour mesurer la santé économique est l’évaluation des conditions de crédit, c’est-à-dire la relation entre prêteurs et emprunteurs sur les marchés du crédit.
La mesure la plus souvent citée concernant les conditions de crédit est peut-être l’écart de taux (spread), soit le rendement supplémentaire d’une obligation de société par rapport à une obligation d’État de durée semblable. D’autres mesures peuvent comprendre les normes de prêt des banques et la structure des obligations.
Les conditions de crédit sont généralement cycliques. Lorsque l’économie croît, elles ont tendance à s’assouplir, ce qui se manifeste souvent par un resserrement des écarts de taux, l’assouplissement des normes de prêt des banques et des structures obligataires moins restrictives. À l’inverse, lorsque l’économie se contracte, les conditions de crédit ont tendance à être difficiles, car les prêteurs exigent davantage en échange de leur argent, ce qui est généralement dénoté par un élargissement des écarts de taux, un resserrement des normes de prêt des banques et des structures obligataires plus restrictives. À l’heure actuelle, ces indicateurs ne s’accordent pas sur l’état de l’économie américaine, ce qui pourrait signaler une volatilité persistante sur les marchés d’investissement. Dans ce contexte, il serait judicieux pour les investisseurs de faire preuve de prudence.
1. ÉCARTS DE TAUX
Comme l’illustre le Graphique 1, les écarts sur le marché américain des obligations à rendement élevé sont bien inférieurs à leurs moyennes à long terme, ce qui indique généralement des normes de crédit plus souples. Les taux administrés par les États-Unis s’établissent maintenant à 5,5 %. Malgré les tensions exercées sur l’économie par la hausse des taux d’intérêt, y compris la faillite de plusieurs banques américaines, les investisseurs en obligations à rendement élevé pourraient sous-estimer l’incidence qu’une expansion rapide des taux d’intérêt aux États-Unis pourrait avoir sur les émetteurs de ces obligations. Cette situation s’explique notamment par le fait que les marchés du crédit anticipent un « atterrissage en douceur » de l’économie américaine.
2. NORMES DE PRÊT DES BANQUES
L’enquête auprès des agents de prêts privilégiés est une enquête trimestrielle menée par la Réserve fédérale auprès des banques américaines et porte sur l’évolution de leurs normes, de leurs modalités de prêt et de la demande relative aux prêts. Comme l’illustre le Graphique 2, depuis 2022, les banques resserrent leurs normes relatives à l’offre de prêts aux moyennes et grandes entreprises.
Lorsque cela est combiné à une série historique d’écarts de taux des obligations américaines à rendement élevé, une relation positive est observée : lorsque les conditions de prêt des banques se resserrent, les écarts s’élargissent généralement, et vice versa. En d’autres termes, l’accès au capital pour les moyennes et grandes entreprises s’est resserré, mais le marché des obligations à haut rendement n’a pas encore réagi en élargissant les écarts.
Si les banques durcissent leurs conditions de prêt, c’est parce qu’elles constatent une hausse du risque de remboursement et en veulent plus pour leur argent. On pourrait s’attendre à ce que la même tendance se reflète sur les marchés des obligations de sociétés, mais ce n’est actuellement pas le cas en ce qui concerne les écarts d’obligations à rendement élevé.
3. FINANCEMENT GARANTI PAR RAPPORT AU FINANCEMENT NON GARANTI
Depuis 1999, la majorité des émissions d’obligations américaines à rendement élevé n’ont pas été garanties par un actif précis. Du point de vue des prêts, ceci est considéré comme plus risqué, car le remboursement est moins certain en cas de défaut et dépend d’une restructuration ou d’une liquidation des actifs de la société. Par conséquent, ces obligations offrent habituellement un rendement plus élevé pour dédommager les investisseurs.
En 2023, la tendance des émissions non garanties s’est inversée de façon draconienne : près de 60 % des obligations américaines à rendement élevé émises possédaient une structure garantie (au 31 juillet), dépassant le sommet précédent de 38 % en 2009 et la moyenne de 22 % depuis 1999. Une explication possible de ce renversement de tendance est que les émetteurs pourraient préférer effectuer des concessions relatives à la structure plutôt qu’à l’écart.
CONCLUSION: UN CATALYSEUR POUR DES ÉCARTS PLUS ÉLEVÉS ?
D’après les facteurs examinés, il semblerait, tout compte fait, que les conditions de crédit se resserrent dans l’ensemble, ce qui augmente le risque d’un atterrissage brutal. Les écarts pourraient alors s’élargir considérablement en réaction. En outre, le nombre accru d’émissions d’obligations à rendement élevé garanties semble indiquer que les émetteurs pourraient avoir moins de souplesse pour restructurer leurs activités afin d’éviter un défaut éventuel. Si un nombre significatif d’émetteurs étaient confrontés à ce scénario, cela pourrait avoir une incidence sur les écarts de rendement au sein du marché américain des obligations à haut rendement, surtout si le marché anticipe des périodes de turbulence.
Compte tenu du niveau d’incertitude actuel entourant les conditions de crédit, les investisseurs pourraient faire preuve de prudence en limitant leur exposition aux problèmes de crédit les plus risqués. Une gestion active des titres à revenu fixe pourrait aider les investisseurs à naviguer dans le contexte actuel et à trouver les meilleures opportunités dans un marché fragmenté.