“Lather, Rinse, Repeat” (On fait mousser, on rince, et on recommence)
En 2021, nous avions commencé l’année en évoquant la pandémie et les banques centrales. Nous avons terminé l’année en évoquant la pandémie et les banques centrales. En janvier, pour la première fois en près de 40 ans, l’inflation globale aux États-Unis a atteint 7,5 %. Avec cette inflation qui n’en finit plus d’augmenter, le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, est passé de l’ombre à la lumière. Il est désormais certain que la Réserve va ajuster ses taux à la hausse lors de sa réunion du 16 mars. Cela devrait être le coup d’envoi d’une série de hausses entre 2022 et 2023. En outre, la Réserve a laissé entendre qu’elle commencerait à dénouer son bilan peu de temps après sa première hausse de taux. La Banque du Canada suit le même chemin que la Réserve. Outre-mer, la Banque d’Angleterre a, dans son impatience, déjà relevé ses taux à deux reprises. Même la BCE n’a pas exclu de hausse de taux en 2022, amorçant un changement majeur de politique.
“Tryin’ To Live My Life Without You” (J’essaie de vivre sans toi)
Alors que la Réserve et la Banque du Canada s’apprêtent à relever leurs taux à un jour, les particuliers, les entreprises et les marchés se demandent ce qu’il va advenir des rendements à long terme. Souvenez-vous, les banques centrales du monde entier ont répondu à la crise de la Covid-19 par une série de baisses des taux. La Réserve fédérale et la Banque du Canada ont ramené leurs taux à un jour à 0,25 %, un niveau plancher que l’on n’avait pas vu depuis la crise du crédit. C’est maintenant que débute le périple vers une hausse des taux.
Le graphique ci-dessus représente le taux à un jour de la Réserve fédérale par rapport aux rendements des Bons du Trésor américain à échéance 30 ans au cours de quatre cycles de resserrement depuis 1992. À la fin des cycles de 1995 et 2000, les Bons du Trésor américain à échéance 30 ans ont clôturé en hausse de 1,38 % et 0,15 % par rapport à leurs rendements respectifs le jour où le cycle de resserrement a débuté (le « rendement initial »). Au cours des deux derniers cycles, terminés en 2006 et 2018, les rendements à long terme ont terminé en dessous du rendement initial avec une différence de 0,04 % et 0,02 % respectivement. Au cours des cycles de resserrement de 2006 et 2018, les rendements à échéance 30 ans ont été en moyenne inférieurs de 0,54 % et 0,14 % au rendement initial.
Le graphique ci-dessus représente le taux à un jour de la Banque du Canada par rapport au rendement des obligations gouvernementales à échéance 30 ans pour huit cycles de resserrement depuis 1992. À l’exception du premier et du dernier cycle, à la date du dernier resserrement, les obligations du gouvernement du Canada à échéance 30 ans ont, à chaque fois clôturé à des rendements inférieurs au rendement initial. En outre, au cours des six cycles intermédiaires, les rendements des obligations à échéance 30 ans étaient inférieurs en moyenne au rendement initial. Au cours du dernier cycle, terminé en 2018, les rendements à long terme ont terminé en hausse de 0,24 % par rapport au rendement initial. Sur ce cycle, ils étaient en moyenne supérieurs de 0,11 %.
L’histoire montre que lorsque les cycles de resserrement commencent, les variations de rendement les plus importantes se produisent dans la portion à court terme de la courbe. À l’inverse, les variations les plus minimes se produisent dans la portion à long terme.
“Message In a Bottle” (Un message dans une bouteille)
Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles les rendements à long terme devraient être bien au-dessus de leur niveau actuel. Premièrement, avec un taux de 7,5 %, l’inflation américaine reste bien supérieure à l’objectif à long terme de la Réserve (2 %). Elle va probablement rester à un niveau élevé pendant un certain temps. Deuxièmement, si l’inflation redescend à l’objectif de 2 % et que les rendements à long terme se situent juste au-dessus des 2 %, comme c’est le cas actuellement, les rendements réels seront proches de zéro. Cela veut dire aucun rendement pour les investisseurs, ce qui ne présente aucun attrait en termes de proposition d’investissement. Troisièmement, les dépenses budgétaires et la fin de l’assouplissement quantitatif mené par les banques centrales obligent les marchés à financer la totalité des déficits publics dont le montant reste encore important. Cette pression envers le financement pourrait pousser les rendements à la hausse. Enfin, les investisseurs, et notamment les particuliers, se montrent prudents vis-à-vis des actifs à durée plus longue. En témoigne l’afflux de 9,5 milliards de dollars américains dans des fonds de prêts à effet de levier à taux variable en janvier 2022.
Plusieurs facteurs viennent contrebalancer les catalyseurs en faveur d’une hausse des rendements. Tout d’abord, les banques centrales sont liées par leur mandat qui les force à essayer de ramener l’inflation à l’objectif de 2 %. Ainsi, dans leurs tentatives, elles risquent de surcompenser en relevant les taux trop rapidement et à un niveau trop élevé. Deuxièmement, les rendements des obligations à long terme ont été faibles pendant une longue période. Au cours des dix dernières années, les rendements des obligations à échéance 30 ans des gouvernements américain et canadien ont été respectivement de 2,72 % et 2,16 %, en moyenne. Quoi qu’il en dise, le marché est bien plus habitué aux faibles rendements obligataires. Troisièmement, les rendements obligataires ont déjà augmenté en prévision d’une hausse des taux par les banques centrales. Depuis la fin 2020, les rendements ont respectivement augmenté de 57 pb et 86 pb aux États-Unis et au Canada. Enfin, la demande en faveur d’actifs à revenu fixe et à longue durée de la part des régimes de retraite et des compagnies d’assurance pourrait compenser, ou du moins nuancer, l’absence d’achats de titres à plus longue durée par les banques centrales et les particuliers.
Compte tenu du risque que représentent les actifs à longue durée dans un contexte de hausse des taux, il faut avoir l’estomac bien accroché pour miser sur le fait que les marchés ont « enregistré » le resserrement des banques centrales. Nous allons continuer d’acheter des obligations de société à longue durée si nous estimons que l’éventuelle compression des écarts est capable de compenser des taux potentiellement plus élevés.
“Go Big Or Go Home” (Voir les choses en grand ou rester chez soi)
Dans le reste du monde, Apple a récemment franchi deux étapes importantes. Tout d’abord, Moody’s a augmenté la cote de la dette de rang supérieure de l’entreprise, la passant à Aaa. Il s’agit d’un fait rarissime pour une entreprise. Ensuite, début 2022, la capitalisation boursière d’Apple a dépassé les 3 000 milliards de dollars, faisant de la compagnie la première à atteindre cette valorisation.
À l’inverse, le géant de l’immobilier Evergrande continue d’être empêtré dans ce qui risque d’être une restructuration prolongée de sa dette. Les créanciers étrangers, dont le spécialiste de la dette en difficulté, Oaktree Capital, tentent de trouver de la valeur dans ce qu’il reste d’un des plus grands promoteurs immobiliers chinois, ainsi qu’auprès des créanciers chinois et voire même du gouvernement chinois. Les marchés vont constater par eux-mêmes l’état des marchés de capitaux en Chine et voir si son système juridique protège les droits des prêteurs, y compris ceux des créanciers étrangers.
Le long terme l’emporte sur le court terme (pour le moment)
Au cours du dernier trimestre 2021, les obligations canadiennes de qualité supérieure ont obtenu de meilleurs résultats que les obligations de qualité inférieure. Avec une forte pondération en obligations gouvernementales à longue durée, l’indice du marché général a enregistré un rendement de 1,7 %, contre 1,3 % pour l’indice des obligations de sociétés de qualité supérieure. Les rendements absolus et relatifs ont été solides en dépit de la hausse des rendements des obligations gouvernementales à court terme, au vu du sentiment belliciste des banques centrales. Le graphique ci-dessous illustre l’évolution du rendement des obligations gouvernementales à échéance 2 ans, au Canada et aux États-Unis, au cours de l’année 2021. La zone grisée met en évidence une hausse de plus de 40 pb au Canada et aux États-Unis au cours du dernier trimestre de l’année. La tendance à la hausse s’est poursuivie en 2022. En effet, les rendements à court terme ont grimpé de 56 pb au Canada et 85 pb aux États-Unis.
Poussés par le glissement vers la portion à long terme de la courbe, les rendements ont annulé l’impact de la hausse des rendements à court terme. Le graphique ci-dessous représente les rendements des obligations des gouvernements canadien et américain à échéance 30 ans. L’émergence du variant Omicron à la fin novembre a entraîné une reprise des obligations gouvernementales à long terme alors que les marchés ignoraient, temporairement, le niveau élevé d’inflation et le durcissement imminent de la politique monétaire. Au cours du trimestre, les rendements ont chuté de 31 pb au Canada, générant un rendement de 4,2 % pour les obligations de sociétés à long terme. Le sursis a été de courte durée. En effet, la portion à long terme de la courbe a poursuivi son chemin à la hausse en 2022, effaçant rapidement la baisse de la fin 2021.
“Train In Vain” (À quoi bon)
D’après le graphique ci-dessous, le rendement de -1,3 % enregistré par l’indice ICE BofA Canada Investment Grade Corporate en 2021 est le pire rendement par année civile obtenu par l’indice depuis sa création. Le 23 novembre, le rendement de l’indice depuis le début de l’année était de -3,7 %. Sans la reprise des rendements des obligations gouvernementales à long terme à la fin de l’année, le résultat aurait pu être bien pire.
En janvier 2022, l’indice des obligations de sociétés canadiennes a restitué tous les gains du quatrième trimestre, voire davantage. La flambée des rendements des obligations gouvernementales, couplée au faible élargissement des écarts de crédit, s’est traduite par un rendement de -2,4 %. Seuls les rendements de mars 2020 (-6,2 %) et de septembre 2008 (-3,0 %), résultant tous deux de la liquidation massive des titres de crédit, ont surpassé la baisse de janvier. Au moment où nous publions ces lignes, l’indice des obligations de sociétés canadiennes est en baisse de 3,7 % depuis le début de l’année. Selon nous, le principal moteur des rendements des obligations de sociétés de qualité supérieure va continuer de provenir des mouvements au niveau des rendements des obligations gouvernementales sous-jacentes.
“Steady, As She Goes” (Une histoire de stabilité)
Pendant la majeure partie de l’année, les écarts des obligations de qualité supérieure sont restés stables, ignorant les gros titres à l’origine de la volatilité des marchés boursiers. La chute des rendements des obligations gouvernementales, précipitée par Omicron, a contribué à un léger élargissement des écarts des titres de qualité supérieure. Mettant l’emphase sur les événements plus récents, le graphique ci-dessous illustre l’élargissement des écarts de crédit sur les marchés canadiens et américains des obligations de qualité supérieure. Malgré l’élargissement, les écarts sont à peine plus larges qu’au début de l’année 2021.
“Holiday Cheer” (Ferveur des fêtes de fin d’année)
Au quatrième trimestre, la volatilité est revenue sur le marché américain des titres à rendement élevé. Comme le montre le graphique ci-dessous, les écarts se sont élargis à la fin du mois de novembre. Cela s’explique par la propagation du variant Omicron, et le faible nombre de transactions pendant le congé de l’Action de Grâce aux États-Unis. Début décembre, les écarts des obligations à rendement élevé se sont redressés, à l’instar d’autres marchés à risque et ont terminé le trimestre à un niveau stable. En janvier, l’incertitude sur les marchés a entraîné une hausse des écarts de 60 pb.
“Paradise by the Dashboard Light” (Le paradis à la lumière du tableau de bord)
Avec 5,4 %, l’indice ICE BofA U.S. High Yield a obtenu le meilleur rendement à travers tous les marchés du crédit en 2021. Les investisseurs à la recherche de rendement dans les titres les plus spéculatifs ont enregistré les meilleurs résultats. Les titres notés CCC ont rapporté 10,4 %, contre 4,9 % pour les titres notés B et 4,5 % pour ceux notés BB. L’euphorie n’aura pas duré longtemps puisque l’indice High Yield a enregistré un rendement de -2,75 % en janvier 2022.
Couponnage extrême
Les valorisations actuelles des obligations à rendement élevé présentent un avantage limité par rapport au risque de crédit assumé. Comme le montre la ligne pointillée du graphique ci-dessous, début février, l’écart de l’indice ICE BofA U.S. High Yield s’élevait à 366 pb. Malgré le recul des écarts au début de l’année, d’un point de vue historique, tout suggère qu’il y a peu de marge pour un nouveau resserrement. Même si les écarts peuvent rester serrés pendant de longues périodes, la recherche de rendements plus élevés sur des marchés dispendieux finit par provoquer un désastre.
“Foolin’ Yourself” (Se bercer d’illusions)
Des taux de défaut faibles conduisent souvent les investisseurs à prendre des risques inconsidérés. Le graphique ci-dessous compare les écarts de taux des obligations à rendement élevé avec les taux de défaut des titres spéculatifs, comme indiqué par Standard & Poor’s. Les périodes d’euphorie des marchés sont souvent suivies par un élargissement significatif des écarts ainsi que par des années présentant un taux de défaut élevé. Moralité, les investisseurs peuvent s’épargner des problèmes en évitant les titres à rendement élevé pendant les périodes où le taux de défaut est faible. En 2021, le taux de défaut était le deuxième taux le plus bas jamais enregistré, à 1,36 %. Même si les écarts et les taux de défaut peuvent rester faibles pendant un certain temps, selon nous, il est possible de trouver une meilleure valeur ajustée en fonction du risque avec les titres de qualité supérieure.
“Act Naturally” (Soyez naturel)
Vous pouvez ajouter AMC Entertainment Holdings, Inc. à la longue liste d’émetteurs qui, après avoir été frappés par la pandémie, refinancent leur dette à coupon élevé émise dans les premiers jours de la pandémie. Le 2 février, AMC a émis 950 millions de dollars d’obligations garanties de premier rang au taux de coupon de 7,50 %, et une échéance en 2029. La société compte utiliser les produits issus de l’offre pour racheter 500 millions de dollars d’obligations au taux de coupon de 10,50 % et une échéance en 2025, 300 millions de dollars d’obligations au taux de coupon de 10,5 % et une échéance en 2026 ainsi que 73,5 millions de dollars d’obligations à bascule en liquide/nature aux taux de 15 %/17 % et à échéance en 2026. La clôture de l’offre est prévue pour le 14 février, jour de la Saint-Valentin. En incluant l’opération AMC, un montant important de la dette émise au début de la pandémie avec des coupons plus élevés que ceux du marché actuel a été refinancé à des rendements absolus beaucoup plus faibles.
“Greased Lightning” (Super Éclair)
Selon les chiffres de J.P. Morgan, les flux vers les fonds de prêts à effet de levier s’élèvent à 9,5 milliards de dollars américains depuis le début de l’année. Inquiets de la hausse des taux d’intérêt, les investisseurs se tournent vers ces fonds à des fins de couverture. En outre, ces fonds ont l’avantage d’offrir des rendements relatifs plus élevés et confèrent un privilège de premier rang en cas de problème. En 2022, les investisseurs ont, jusqu’à présent, été récompensés par des rendements positifs par rapport aux rendements négatifs de l’ensemble des marchés à revenu fixe, y compris les titres à rendement élevé. Nous invitons les investisseurs à tenir compte des risques de crédit et de liquidité inhérents aux prêts à effet de levier et aux produits qui leur sont adossés.
Premièrement, les émetteurs de prêts à effet de levier constituent les éléments les plus spéculatifs des marchés du crédit et ont des cotes de qualité inférieure. Deuxièmement, ces dernières années, les protections contractuelles destinées à protéger les prêteurs ont été allégées, voire éliminées. À mesure que les défauts de paiement augmentent, les recouvrements par les créanciers risquent d’être bien inférieurs aux moyennes historiques, ce qui aura un impact négatif sur les rendements des détenteurs de prêts à effet de levier. Selon J.P. Morgan, au cours des douze derniers mois, les recouvrements sur les prêts de premier rang se sont élevés à 51,82 $. Ce montant est nettement inférieur au montant de recouvrement moyen sur les 23 dernières années : 64,81 $. Troisièmement, les prêts peuvent généralement être rachetés à leur valeur nominale après de très courtes périodes de protection contre les rachats, ce qui limite le potentiel d’appréciation du capital. Enfin, alors que les transactions devraient être réglées en 7 jours ouvrables, elles restent généralement en suspens pendant des mois. Cela crée un décalage de liquidité pour les fonds qui offrent de la liquidité aux investisseurs quotidiennement. Ce décalage peut s’aggraver en période de crise du marché.
Compte tenu de l’effervescence autour des prêts à effet de levier, nous prévoyons de commenter ce segment des marchés du crédit dans nos prochaines infolettres.
“Night Moves” (Mouvements nocturnes)
Les flux de trésorerie des entreprises vont s’améliorer, poussés par les politiques monétaires accommodantes, les politiques budgétaires agressives et la demande refoulée des consommateurs. La hausse des taux directeurs et la diminution des mesures de relance budgétaire en 2022 ne feront que ralentir, et non inverser, l’amélioration de la qualité du crédit dans son ensemble. Nous nous attendons à ce que les hausses de cotes de crédit soient plus nombreuses que les baisses. Selon nous, les défauts de paiement devraient rester faibles. Nous pensons également que de nombreux investisseurs, dont les coffres débordent d’argent, vont continuer de rechercher du rendement.
Les écarts de crédit peuvent rester en dessous des moyennes à long terme pendant de longues périodes. Les taux d’intérêt augmentent par intermittence. Dans un contexte de risque élevé, nous modifions la composition des portefeuilles pour une qualité de crédit supérieure. Nous sommes heureux d’avoir un positionnement prudent (qualité de crédit supérieure, durée plus courte) en attendant la prochaine opportunité.